tableau en couleurs pastels représentant une scène agricole, avec une femme tenant la main d'un enfant, tous deux au travail. Dans le ciel, les nuages forment une troupe en marche, avec une allégorie de la République qui les pousse à avancer.

Léon Duverdier s’installa devant le bureau du président avec l’impression que son cœur allait s’arrêter d’un moment à l’autre. Raymond Poincaré le fixait d’un œil peu amène.

– Eh bien, monsieur, je vous écoute. Mon secrétaire m’a noté là que vous veniez sur recommandation de plusieurs ministres, afin de… défendre la construction de monuments ? Quels monuments ?

– Des monuments du souvenir, monsieur le Président. Je… Je vous remercie de me recevoir. Je représente le Comité de commémoration de la Grande Guerre. Nous pensons qu’il serait bénéfique pour le peuple français d’élever des monuments dédiés à leur deuil.

– Leur deuil ? Mais enfin, de quoi me parlez-vous là ? Cette guerre a été presque entièrement menée par des automates ! Enfin, nous ne comptons pas plus de dix mille morts pour toute la France. Vous rendez-vous compte ?

– Oui, monsieur le Président. Mais aussi près d’un million d’automates.

– De simples machines.

– Certes, mais des machines dotées d’intelligence ! La plupart n’avaient pas été fabriquées pour la guerre. Elles ont été réquisitionnées dans des fermes, des maisons et des magasins. Le peuple français, monsieur, s’était attaché à leur présence. Pour bien des enfants, nous ne parlons pas simplement d’un automate mis hors service. C’est une nourrice qu’ils ont perdu, la créature qui leur a appris à parler et à faire leurs premiers pas.

– Allons, bon ! Auraient-ils préféré que j’envoie leur père sur le champ de bataille ?

– Non, monsieur le Président. Cette guerre a fait bien assez de dégâts, et je pense que nous sommes tous reconnaissants qu’il n’y ait pas eu davantage de pertes humaines. Tout ce que le Comité propose, c’est de reconnaître la perte que nous avons tout de même subie. De reconnaître le service que les automates nous ont rendu.

Raymond Poincaré se rencogna dans son siège et lissa lentement son bouc, avant de hocher la tête.

– Nous examinerons votre proposition, monsieur Duverdier. Faites-moi donc un dossier de financement.

Léon sentit le triomphe l’envahir. Un monument ne rendrait pas à sa mère l’automate qui lui manquait tant ; mais peut-être que voir son souvenir ainsi commémoré pourrait apaiser sa douleur.

[image : Amy Z]

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