Jin Haoreng, de ce que Camille de Longcourt en avait compris, était l’héritier d’une famille de très ancienne noblesse. Avec la main-mise que l’empire Britannique prenait en Chine, il pouvait s’attendre à un excellent accueil en France. Camille, l’un des seuls diplomates présents en ville à parler mandarin, avait abandonné tous ses projets dès qu’il avait appris son arrivée.
Leur conversation avait initialement été lente et hachée, un mélange de français et de mandarin que les circonstances rendaient trop pompeux. Puis Camille avait eu l’idée de proposer un tour des cafés de Paris à son invité ; à partir de là, leur entente n’avait fait que croître, au point qu’ils se trouvaient à présent seuls dans une loge privée des Folies Bergères, s’étant enfin débarrassés de leur encombrante escorte.
– La polyandrie ?
– Seulement dans certains clans !
– Remarquez, je connais une ou deux dames qui ne seraient pas contre… Ah, voilà l’absinthe.
Camille se mit en devoir de présenter à Jin Haoreng le rituel de l’absinthe, qu’il avait appris dernièrement. La ressemblance avec la cérémonie du thé lui avait semblé amusante, et son compagnon semblait assez curieux.
Jin Haoreng l’observa avec attention tandis que Camille versait l’alcool à la délicate couleur verte, disposait cuillères et sucre sur les verres, puis s’emparait de la carafe d’eau glacée.
– Attention, observez bien : il est essentiel de verser l’eau presque goutte à goutte, afin de voir les différents états de l’absinthe qui se trouble…
Camille se mit à l’œuvre. Son père désapprouvait son intérêt pour une boisson aussi bourgeoise, mais Jin Haoreng se montra très bon public. Ses commentaires sur les changements de couleur de la boisson furent des plus poétiques, et son admiration du geste maîtrisé de Camille très gratifiante.
– Trinquons, proposa Jin Haoreng. À l’amitié entre les nations ?
– À l’amitié entre les nations, acquiesça Camille.
L’absinthe était délicieuse, mais Camille ne la savoura pas, trop concentré sur la réaction de Jin Haoreng. Celui-ci finit son verre, sourit. Puis demanda :
– Excusez-moi. Vous avez bien dit qu’il s’agissait d’un alcool… fort ?
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