En 2011 il y avait plus de femmes que d’hommes sur les bancs de l’université en France (57,2 % selon les chiffres officiels). Elles sont toujours minoritaires dans le reste des cursus supérieurs comme les écoles de commerce ou d’ingénieurs, mais ce chiffre n’en reste pas moins une avancée impressionnante. Car même si mon héroïne, Mathilde, est l’assistante d’un éminent professeur, au XIXe siècle, l’affaire était loin d’être gagnée…
Passe ton bac d’abord
Au XIXe siècle en France, pour entrer à l’université, il faut déjà avoir passé le baccalauréat, ès lettres ou ès sciences. C’était en général les professeurs de facultés qui le faisaient passer, car il y avait assez peu de candidats. Et moins encore de femmes, évidemment, à une époque où l’instruction des jeunes filles était loin d’être obligatoire.
Ainsi, la première femme à devenir bachelier es lettres (et non bachelière évidemment) est Julie-Victoire Daubié, qui présente en 1861 l’épreuve à la faculté de Lyon. Elle a trente-sept ans et a dû se former seule, car il n’existait pas encore d’enseignement secondaire préparant cette épreuve pour les femmes.
Les pionnières qui passent le baccalauréat au XIXe siècle sont de véritables curiosités. Hors de question pour les premières femmes qui osent se présenter au baccalauréat d’être mêlées au reste des candidats : on leur réserve en général une place à part, à la table des examinateurs par exemple. Elles font évidemment la une des journaux, et beaucoup de monde se déplace pour assister à leurs épreuves orales – je n’aurais pas aimé être à leur place !
Et même une fois le bac en poche, les difficultés étaient loin d’être terminées…
L’entrée dans les amphithéâtres
Les facultés s’ouvrent aux femmes, mais cela ne va pas sans mal. La Sorbonne fait ainsi longtemps la sourde oreille, alors même que les facultés de province leur ouvrent leurs portes – même si ce n’est souvent que par le biais d’autorisations exceptionnelles et d’invitations gracieuses, qui confirment l’exception plutôt que de changer la règle. Elles sont ainsi dans certains cas autorisées à présenter les examens sans avoir le droit de suivre les cours, ou doivent adresser des requêtes au ministère de l’Instruction publique et à différents hauts fonctionnaires pour poursuivre leurs études.
D’autre part, la mixité pose problème : les femmes viennent en cours accompagnées de chaperons afin de prouver que leurs mœurs sont irréprochables. Le fait de suivre des études ne peut après tout pas se substituer au fait de devoir trouver un mari, car les femmes ont encore de longues années à passer assujetties devant la loi à un membre masculin de leur famille, que ce soit un père, un frère ou un époux. Un certain nombre de ces pionnières assistent aux cours sans aller encore jusqu’à obtenir un diplôme ; issues de milieux aisés, elles n’en ont pas besoin pour vivre.
Mais ce n’est pas le cas de toutes.
L’université française cosmopolite
Certaines étudiantes ont besoin de ces diplômes et vont remuer ciel et terre pour les obtenir – mais ce ne sont pas nécessairement des Françaises qui vont ouvrir la voie, dans les premières années en tout cas.
Une majorité des étudiantes viennent ainsi d’Angleterre, mais surtout de Russie, de Roumanie et de Pologne, et ce jusqu’à la Première Guerre mondiale au moins. Elles sont issues de milieux cultivés, de familles qui se sont réfugiées à Paris car la capitale est encore considérée comme l’un des principaux centres intellectuels d’Europe. Mais elles ne sont pas riches, et elles ont besoin de diplômes pour s’ouvrir les portes du monde du travail. Elles sont à ce titre plus nombreuses dans les domaines de la médecine, de la science et de la pharmacie. L’une des plus connues ? Maria Skłodowska, future Marie Curie, qui a dû travailler comme répétiteuse pour financer son doctorat.
Plus on est des fous, moins on rit
À la fin du XIXe siècle, il s’avère clair que les femmes fréquentant les bancs de l’université ne sont plus de simples exceptions anormales, mais sont au contraire là pour rester, et cela ne va pas sans mal. Au moment où les lois françaises évoluent enfin dans le sens d’une ouverture de l’instruction secondaire et supérieure pour les femmes, ce sont les étudiants qui se mettent à protester contre leur présence. On brûle des effigies, on fait du tapage durant les cours, on braille des chansons obscènes, on lance des œufs pourris… Bref, tout pour bien faire sentir à ces femmes qu’elles ne sont pas les bienvenues.
La cohabitation va pourtant se faire par le biais de divers arrangements, comme des places spécifiques qui permettent d’isoler les femmes du reste de leurs camarades, ainsi que des avertissements quant à la bonne tenue qu’elles se doivent d’adopter – simplicité, mais également modestie bien entendu, pour éviter de distraire les étudiants comme les professeurs (évidemment). Il leur faut aussi lutter contre des préjugés bien ancrés : une femme ne peut réfléchir ou faire d’effort, sa tête n’est pas ainsi faite, comme l’ont défendu des médecins durant des années… La dichotomie entre femme et étudiante a encore de belles années devant elles malgré l’acceptation de cette situation par l’Etat.
La loi évolue… mais pas trop vite quand même
Les premiers cours secondaires pour jeunes filles datent de 1867, mais disparaissent rapidement pour n’être réellement pérennisés qu’avec la loi Camille Sée de 1880, qui crée un véritable enseignement secondaire féminin. Il ne prépare cependant pas encore aux épreuves du baccalauréat : il manque par exemple l’enseignement du latin et du grec. Il faudra attendre 1924 pour que le programme devienne commun aux garçons et aux filles et que celles-ci puissent devenir bachelières sans avoir recours à des tuteurs particuliers.
Les premières licenciées et doctorantes doivent également affronter la loi avant de pouvoir exercer leur métier ; Augusta Klumpke rencontre ainsi de fortes résistances avant d’accéder à l’internat de médecine, et il faut trois ans de lutte à Jeanne Chauvin pour pouvoir prêter serment et devenir enfin avocate. Les choses ne vont pas en s’améliorant à mesure que le nombre d’étudiantes augmentent, car même lorsqu’elles sont enfin mieux acceptés par les étudiants dans le cadre des universités au XXe siècle, elles deviennent leurs rivales pour l’accès au travail, dans une société structurellement peu adaptée au travail féminin dans des postes à responsabilité.
Quid de la traditionnelle différence entre matières féminines et masculines ?
C’est bien connu, les sciences dures sont le domaine de prédilection des hommes, tandis que les femmes ont plus leur place au sein des sciences sociales… Faux au XIXe siècle. Entre les étudiantes étrangères qui souhaitent se garantir de bons débouchés à la sortie de leurs études et la position particulièrement réfractaire de certaines facultés, il s’avère que ce sont la médecine, la pharmacie et les sciences qui séduisent le plus les étudiantes. Après tout, l’imaginaire attribue volontiers aux femmes une capacité innée à soigner et jouer les garde-malades qui aide à les rendre plus acceptables dans ces domaines.
Les facultés de lettres, en revanche, mettent plus de temps à s’ouvrir ; quant aux facultés de droit, elles demeurent des bastions difficiles à conquérir. Après tout, l’incapacité civile des femmes édictée par le code Napoléon ne sera abolie qu’en 1938… Comment alors envisager qu’elles puissent étudier un domaine où elles n’ont normalement pas même le droit de prendre la parole ?
La Vieille Fille et le Viking : une vision optimiste
Eh oui, j’admets… Mathilde d’Amoys, assistante d’un professeur en 1867, cela reste un peu optimiste même si ce n’est pas totalement hors du domaine du possible. Mais après tout, la faculté de lettres de Caen ne disposait pas à ma connaissance de département d’études scandinaves : il faut bien laisser quelques libertés aux pauvres auteurs…
En tout cas, mes recherches pour cet article m’auront appris plusieurs choses : déjà, que j’avais fait une erreur en parlant d’université de Caen, erreur dûment rectifiée. En effet de 1793 à 1896, les universités locales n’existent plus, on ne parle alors que de facultés. Je pensais pourtant avoir fait le tour de la question lors de mes recherches… Comme quoi, c’est un travail sans fin.
Mais surtout, j’ai appris que le chemin pour en arriver à l’égalité, pourtant loin d’être encore effective d’aujourd’hui, a été long et difficile – et que nous avons de la chance d’avoir pu compter sur toutes ces pionnières (et les hommes qui les ont soutenues, car il y en a eu) qui ont décidé d’affronter les règles sociales et les bonnes mœurs pour changer les choses. Merci à elles, et ne nous arrêtons pas en si bon chemin !
Pour aller plus loin
https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2000-2-page-35.htm
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