« Romain ! Mais que faites-vous, enfin ? »
Romain Hanettat ne releva pas les yeux vers sa mère : c’était le seul moyen de ne pas lever les yeux au ciel. Fort heureusement, les larges épaules de Pierre constituaient un très acceptable paravent.
« Je pars en voyage, mère. J’accompagne Pierre en Chine.
– En… En Chine ? Avez-vous perdu la raison ?
– Pas à ma connaissance.
– Mais enfin, Romain, vous ne pouvez pas marcher ! »
Romain, qui se trouvait en ce moment même porté comme une jeune épousée par son meilleur ami, serra les dents pour retenir une réplique sarcastique. Quel besoin éprouvait sa mère de le lui rappeler chaque jour que Dieu faisait ? Ses jambes malformées l’avaient toujours rendu incapable de marcher ; il ne risquait certes pas de l’oublier !
Au-dessus de lui, Pierre baissa légèrement le menton pour lui lancer un sourire complice, avant d’ouvrir la porte du salon d’un coup d’épaule.
Son nouveau fauteuil trônait au milieu de la pièce, une véritable beauté qui l’éblouit aussitôt. La structure en bois lustré était gracieuse, le motif des coussins en velours élégant ; mais le mieux était bien évidemment la machinerie qui se dessinait à l’arrière du fauteuil, toute en cuivre et en laiton, étincelante comme un sou neuf.
Pierre le déposa délicatement et l’aida à ajuster ses membres sur le marchepied. Sur les accoudoirs, une série de leviers et de boutons devaient lui permettre de maîtriser l’apport électrique des accumulateurs, la combustion d’appoint, et de se diriger en toute indépendance.
Lorsqu’il l’alluma, le fauteuil ronronna sous ses jambes. Le son en était tellement doux à ses oreilles qu’il étouffa momentanément les récriminations maternelles.
« Prêt pour l’aventure ? » demanda Pierre en allant ouvrir la porte-fenêtre – la seule de la maison qui donnait dehors sans devoir en passer par des marches qui lui mettraient des bâtons dans les roues, au sens le plus littéral du terme.
« Plus que jamais », répondit Romain, le cœur martelant ses côtes.
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