France

De nuit, la capitale était plutôt jolie, décida Camille. On ne voyait plus la crasse qui s’accumulait malgré les efforts faits pour l’Exposition universelle. Il n’y avait plus que les milliers de lumières qui perçaient l’obscurité. La lueur mouvante des lampes à gaz, celle plus éblouissante des lampadaires électriques, dévoilant les larges avenues où se pressaient des silhouettes minuscules. Camille chercha un moment les quelques lampes à huile qui éclairaient encore les plus petites rues, mais sans succès : il était trop haut.

« Hé, Camille ! Qu’est-ce que tu fabriques ?

– J’arrive. »

Sans s’attarder davantage, Camille rajusta la bandoulière de son sac. Au-dessus de lui, Paul lui souriait, cramponné aux poutrelles métalliques comme une étrange sorte de singe urbain. Plus haut, Isabelle avançait sans même se soucier d’eux. Les pantalons que Camille lui avait trouvés lui allaient très bien et il s’empressa de détourner les yeux, la nuque brûlante.

Lorsqu’ils arrivèrent au deuxième étage de la tour, ils s’arrêtèrent un moment pour reprendre leur souffle. Puis Isabelle se redressa, les poings sur les hanches.

« On continue.

– On est déjà assez haut, non ? râla Paul.

– Non. Cette tour est le plus haut bâtiment du monde. Le lancement doit se faire du sommet. »

Camille acquiesça malgré le vertige qui le prenait déjà. Maintenant qu’ils étaient là, ils ne pouvaient pas faire les choses à moitié.

Le 14 juillet 1889 était dans une semaine ; et alors, du haut de la tour de l’Exposition universelle, leur automate prendrait son envol pour révolutionner la France. Paul et lui y travaillaient depuis des années, mais l’idée du lancement venait d’Isabelle. Elle avait raison : un tel progrès ne pouvait pas se contenter d’une présentation dans un salon. Tout le monde devait pouvoir en être témoin.

« Camille ! Arrête de rêvasser, dépêche-toi avant qu’on nous voit ! »

Camille prit la main tendue de Paul et se hissa sur le côté de la tour, le cœur battant.

[image : Janeb13]