anneau de porte traditionnel représentant une tête de dragon sur fond rouge

[TW violence]

Zeng Shu était une fille dévouée. Toute sa vie, elle avait respecté ses aînés. Elle s’était soumise au mariage qu’on attendait d’elle, à l’autorité de son mari et à celle de ses beaux-parents. Elle avait fait honneur à sa famille, alors même que sa sœur s’enfuyait avec un de ces Européens qui venaient sur leurs terres en conquérants, pour répandre leur règne et leurs croyances.

Et voilà qu’à présent, elle avait tout perdu.

Agenouillée dans la cour des femmes, Zeng Shu tremblait, les yeux écarquillés. Une fumée épaisse lui brûlait les yeux et la gorge. Les hurlements de terreur et le fracas des coups de feu résonnaient encore à l’intérieur de son être, saignaient par ses oreilles.

Tout autour d’elle, les corps jonchaient le sol dans des postures grotesques, indécentes. Elle ne voulait pas voir les traits déformés de sa plus jeune belle-sœur, les membres brisés de sa belle-mère, la façon dont la tête de cette servante était presque détachée de son corps. Mais si elle baissait les yeux, alors elle verrait son propre corps, et elle n’osait pas. La douleur s’était estompée lorsque les étrangers étaient enfin partis, la laissant pour morte ; mais elle pouvait revenir. Sous ses mains crispées, la terre battue imbibée de sang était devenue boueuse.

Zeng Shu resta là un long moment. Le soleil se coucha. Et dans le silence seulement rompu par sa respiration, elle entendit des voix lui murmurer à l’oreille.

Venge-nous.

Zeng Shu était une femme dévouée. Elle avait toujours respecté son époux, qui construisait des machines gigantesques, comme celles avec lesquelles les Britanniques avaient mis le pays à genoux. Parce qu’il aimait l’entendre chanter et jouer du guqin pendant qu’il travaillait, elle s’était habituée à l’apparence de ces monstres à l’apparence presque humaine, ces machines de guerre terrifiantes.

Lentement, Zeng Shu arracha une poignée de terre rougie et visqueuse au sol, qu’elle enveloppa soigneusement dans un pan déjà arraché de son vêtement. Puis elle se traîna vers le hangar où se trouvaient encore quelques machines, celles que les étrangers n’avaient pu emmener.

Elle aussi les mettrait à genoux.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.